Acces nonvoyant, recommandé pour les personnes utilisant une synthèse vocale
Accueil

Accueil > Histoire > La catastrophe du 21 avril 1932

29 janvier 2010

La catastrophe du 21 avril 1932

Le mémorial des Corses
21 avril 1932 à Bastia : dix sept morts au palais de justice

1932_palais

 

Messieurs, la Cour !
Comme un seul homme, l'assistance, nombreuse en ce 21 avril 1932, au palais de justice de Bastia, se lève. II y a foule pour assister au procès des receleurs du bandit Pinelli. Au banc des prévenus: Luciani et Rosso. Autour d'eux, les maîtres du barreau bastiais sont présents : Me de Montera, Mes Louis Colombani et Dominique Bianchi, qui assurent la défense 'des deux accusés.

Les dernières rumeurs s'éteignent doucement. L'assistance s'apprête à suivre avec passion ce procès. On va s'indigner. on va s'inquiéter du sort du principal prévenu Albert Luciani. originaire de San Nicolao. pour qui presque toute la population s'est déplacée; on va s'esclaffer aussi pourquoi pas ?

C'est une machine infernale !

La parole est à l'accusation. Me de Montera se lève. Le mouvement de bras qu'il amorce marque en quelque sorte l'annonce de la catastrophe qui va suivre. En effet, l'univers semble basculer et, dans un fracas étourdissant, tout s'écroule. D'épais nuages de poussière envahissent la salle et durant plusieurs minutes, on n'y voit plus rien. Tous ceux qui ont eu la chance de ne par être pris sous la chute des gravats et des poutres métalliques s'enfuient en désordre.

Deux militaires en sang s'échappent du palais en hurlant "c'est une machine infernale !", tandis que par d'autres issues, fuient des personnes la bouche clamante, les yeux exorbités, les gestes éperdus. Ce n'est qu'au bout de quelques minutes que les râles des premiers blessés se font entendre. Passé les premiers moments de stupeur, quelques personnes qui se trouvaient hors de la salle d'audience accourent. Le spectacle qui s'offre à leurs yeux est bouleversant. Alors que la poussière qui obscurcit la vue s'estompe lentement, ils mesurent toute l'étendue du désastre "le plafond est éventré sur toute sa largeur, et à travers cette immense échancrure, on aperçoit les tapisseries de la salle des Abeilles qui se trouve exactement au-dessus (...) la toiture elle-même entrouverte laisse voir un coin de ciel..." rapportera " Bastia-Journal" le lendemain.

Les opérations de secours

Quelques instants plus tard. tous les secours officiels sont là : police municipale, gendarmerie, pompiers, les hommes du 173 e, qui s'emploient à dégager les premières victimes. On retire les corps affreusement mutiles de Mes Louis Colombani et Dominique Bianchi. Avec d'autres, ils sont alignés dans la salle des pas perdus qui fait office de chapelle ardente. A midi et demi, une heure trente à peine après la catastrophe, on compte déjà quinze morts et près de vingt blessés. Certains ont eu beaucoup de chance. Parmi ceux-là, Mes de Corsi et Zuccarelli "violemment projetés contre les murs ", ont pu échapper à une fin affreuse. Les plus atteints sont évacués vers l'hôpital civil, les autres vers les cliniques privées, ou encore à leurs domiciles pour ceux qui ne souffrent que de contusions...

Au cours des opérations de sauvetage. plusieurs personnes se font remarquer pour leur courage et leur abnégation. Parmi elles, le conseiller à la cour d'appel Joseph Ajaccio. l'avocat général Orsatelli ou encore Pierre Spagnoli, un jeune lycéen. Une quarantaine de secouristes que "Le Petit Bastiais" s'empresse. de citer dans son édition du lendemain, participent aux recherches" Chauffeurs de taxis et cochers de fiacres apportent leur aide en mettant à la disposition des sauveteurs leurs véhicules dans lesquels on allonge les blessés avant de les diriger vers les cliniques...

François Natali. le célèbre joueur de Sporling club Bastiais. fait partie des sauveteurs. C'est encore pour ses "exploits" ou plutôt pour ses gestes violents qu'il doit comparaître ce 21 avril sous l'inculpation de coups et blessures contre un joueur du C.A.B. Quoique blessé à la tête par la chute d'une poutre, il s'échappe en sautant par une fenêtre, ameute des passants et malgré son état repasse par le même chemin pour guider les premiers sauveteurs. Il faudra le transporter presque de force à la clinique Dufour.

Alors que les opérations de secours se poursuivent, on retire des décombres, Me de Montera qui sortira de là estropié à vie. Fort heureusement, sa main émergeant des décombres a permis de le situer et de l'extraire de son inconfortable position. Doit-il sa vie à la Providence s'interroge la rumeur publique ? On peut le penser quand on sait que celle-ci a "jeté sur de Montera avec ce qui pouvait le tuer, cequi le sauvera. Un fauteuil de la salle des Abeilles estvenu se placer sur sa tête comme un dais sur la mitre d'un évêque..." Parmi les morts celle du jeune Dominique Santoni, venu de Zicavo assister au jugement en appel de son père condamné à un an de prison pour recel de malfaiteurs. En l'absence de celui-ci, détenu depuis six mois, la cour a réduit la peine à six mois. Santoni sortira de prison pour accompagner son fils a sa dernière demeure. Vers treize heures, les sauveteurs dégagent la dernière victime. Son visage est si atrocement mutilé qu'il faudra attendre le lendemain pour apprendre qu'il s'agit de Mme Yvonne-Hélène Condunneau, trente et un ans, née à Valladolid en Espagne.

Un accident inexpliqué

Dans l'après-midi, un vaste mouvement de solidarité se manifeste. II commence par la visite qu'Emile Sari, sénateur-maire de Bastia, fait aux blessés de l'hôpital civil ainsi qu'aux cliniques Zuccarelli, Dufour et Flach. Il en est de même pour le Procureur général tandis que M. Seguin, préfet de la Corse, quitte Ajaccio dès qu'il prend connaissance de la nouvelle. Il est à Bastia à quinze heures trente et, accompagné du sous-préfet de Bastia, M. Beaugrand, se rend immédiatement au chevet des blessés. Les télégrammes de condoléances affluent en nombre. Adolphe Landry, Paul Lederlin, Célestin Caitucoli, le cabinet de la Présidence de la République, Tardieu, président du Conseil, se manifestent... tandis que François Pietri en tournée électorale dans le canton de Pietra di Verde rejoint, toutes affaires cessantes Bastia pour saluer les victimes de la catastrophe. En tant que ministre de la Défense nationale, il représentera le gouvernement aux obsèques. Que s'est-il réellement passé ? Pour tenter de répondre à cette question une commission d'enquête est nommée le jour même. Sous la responsabilité d'un ingénieur des Ponts et chaussées, elle regroupe plusieurs spécialistes de l'architecture et des Ponts et chaussées. Pour l'heure, les premières constatations démontrent que l'effondrement a été provoqué par la chute de matériaux provenant de la toiture et de la contre-voûte de la salle située au-dessus de la salle d'audience. "il est à noter toutefois que la partie de la toiture qui recouvrecette salle a été réparée au cours de l'année écoulée" rappelle "Bastia-Journal" du 23 avril. En tout état de cause, le palais de justice est rapidement évacué et l'administration préfectorale étudie la possibilité d'installer ses services dans divers établissements de la ville. De son côté. la rumeur publique fait circuler les bruits les plus alarmistes, les plus fantaisistes aussi. La thèse de la bombe a été abandonnée. On recherche dans d'autres directions. Pour certains, en cette époque troublée où l'irrédentisme continue d'animer les passions, ce sont !es italiens qui sont à l'origine de la tragédie. On cite l'exemple de cette affiche placardée en ville rédigée en ces termes: "Proletari, i tirani vi ricordano una date 21 aprile d'ingerenza eretta governo . Boicottatela" Il ne s'agit en réalité que d'un appel des antimussoliniens à boycotter la date anniversaire d'une cérémonie fasciste. D'autres se rappellent ce numéro du "Telegrafo", de 1930, annonçant l'exécution de Me de Montera sur la place du palais de justice ... en avril 1932 . Toutes ces thèses seront abandonnées et l'on ne trouvera pas de responsables pour expliquer la tragédie. Les rapports d'expertise eux non plus ne concorderont jamais. Selon les uns. la catastrophe serait due à la rupture d'un tirant de feu et l'appel d'air ainsi provoqué aurait entraîné, en quelque sorte par aspiration, la chute de parquet et de la voûte de la salle des Abeilles puis du toit. Pour d'autres, l'effondrement s'explique par un défaut de construction de cette voûte ... Les rapports officiels concluront finalement à ceci : la catastrophe est accidentelle.

Le temps des discours

Les obsèques des victimes sont grandioses. Totalement prises en charge par le département, elles ont lieu le 23 en raison de la pluie torrentielle qui est tombée sans discontinuer. "Bastia-Journal" et "le Petit Bastiais" leur consacrent deux pages entières.
"ll y avait là en même temps des gens venus de très loin, du sud de l'île, d'Ajaccio, de Corte, de Balagne, des hautes personnalités, des conseillers généraux, des maires, arrivés en même temps que de modestes travailleurs des villes et des champs qui avaient tenu à rendre un dernier hommage aux malheureuses victimes et à apporter aux familles le témoignage de leur douloureuse sympathie".
La cérémonie est rendue plus triste encore par la pluie qui se remet à tomber pour ne pas cesser de tout l'après-midi Tous les corps Constitués sont là, groupés derrière l'Harmonie de la ville qui fait entendre les notes lugubres d'une marche funèbre tandis que "sur les trottoirs la foule de part et d'autre, forme comme un mur vivant , véritable tranchée humaine qui traverse le convoi". En tête du cortège parti de l'hôpital civil de Toga, des agents cyclistes et un peloton de gendarmerie à cheval ouvre la marche. Derrière quatre poêles dont les cordons sont tenus par les personnalités selon un rigoureux ordre hiérarchique et, fermant la marche, la population bastiaise suit en masse compacte. Un cortège terriblement impressionnant quant on sait qu'il s'étend sur toute la longueur de la place Saint Nicolas, de la rue Miot au cours Sebastiani ! Il est un peu plus de seize heures quand Mgr Rodie. évêque d'Ajaccio prononce l'absoute funèbre, et une heure plus tard. le cortège parvient au rond-point de l'hôtel de ville où vont être prononcés les discours François Pietri. président du conseil général de la Corse et ministre de la Défense nationale est le premier à prendre la parole Les discours de MM. Emile Sari. sénateur-maire de Bastia, Gauger, procureur général, Achille Raffalli, ancien bâtonnier succèdent à son allocution. Autant de "discours d'une haute tenue morale", diront les journaux du lendemain.

Puis. le cortège se reforme une nouvelle fois. Il est dix-huit heures lorsqu'a lieu la dislocation, place d'Armes. Sous la pluie battante une file interminable de voitures se dirige vers le cimetière de Bastia où. dans le jour déclinant. les familles éprouvées récitent les dernières prières.

LES DIX-SEPT VICTIMES :

Me Louis Colombani,43 ans, Bâtonnier de l'Ordre des avocats,
Me Dominique Bianchi, 55 ans, avocat,
Jacques Ferrari. Achille Luciani,
Albert Luciani prévenu,
Le gendarme Ardouin,
Xavier Suizoni, adjudant de gendarmerie,
Lucie Bonifacio. Yvonne-Hélène Condunneau,
Antoine Bianconi,
Pierre-Augustin Franzini,
Dominique Santoni,
Angelo Silvestri,
Joseph Tristani,
Séverin Pinelli.
François Berard, mort des suite de ses blessures.
Nicolas Andreani, mort des suites de ses blessures.

 

 

pied de page