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21 mai 2010

Action formation : Justice et psychiatrie

Sont intervenus le Lundi 17 mai 2010 au sein de la Cour d'appel de Bastia, deux éminents spécialistes, l'un psychiatre, l'autre psychologue, tous deux experts près la Cour d'appel de Paris, pour débattre des rapports qu'entretiennent Justice et Psychiatrie.

Crédit photo D FRASSATI

 

Daniel ZAGURY, psychiatre des hôpitaux, spécialiste de psychopathologie et de psychiatrie légale, est expert auprès de la Cour d'appel de Paris.

"Expert dont la justice pénale ne pourrait se passer", selon Philippe BILGER, avocat général près la Cour d'appel de Paris, le Docteur ZAGURY a été amené à examiner la plupart des tueurs en série français de Guy Georges à Michel Fourniret en passant par Patrice Alègre.

Geneviève CEDILE est psychologue et psychanalyste, Docteur en droit et expert près la Cour d'Appel de Paris. Agrée près la Cour de Cassation, elle s'est spécialisée dans le domaine des agressions sexuelles, dans le suivi des victimes et dans le traitement des auteurs.

Tous deux ont également été membres du groupe de travail chargé de tirer tous les enseignements utiles du traitement judiciaire dans l'affaire dite d'Outreau.

Les débats ont mis en présence à la fois des experts médicaux (psychiatres, psychologues...), appelés prioritairement à établir un diagnostic de l'état mental afin de soigner, et des responsables du monde judiciaire (magistrats, Officiers de Police Judiciaire, Avocats...) soucieux d'établir la responsabilité de l'auteur d'un crime ou délit.

  • Le plébiscite des experts

Philippe PINEL, aliéniste français considéra à la fin du XVIII ème siècle que le dément était un malade. C'est ainsi que les rédacteurs du Code pénal de 1810 rédigèrent l'article 64 qui excluait toute peine à son encontre.

Au XIX ème siècle l'expertise psychiatrique se développe : un juge d'instruction saisi en 1835, un expert psychiatre pour évaluer la responsabilité de Pierre RIVIERE, auteur de l'égorgement de sa mère, de sa soeur et de son frère. Jean Étienne ESQUIROL, psychiatre français, à l'origine de l'adoption de la Loi du 30 juin 1938, met fin aux décisions d'internement arbitraires par simple lettre de cachet ou de décisions de justice.

Aujourd'hui, la société appelle le psychiatre et le psychologue a intervenir partout comme thérapeute de la relation. La justice n'échappe pas à la règle; dans toute affaire criminelle l'expert psychiatre ou psychologue est saisi même si aucun texte de loi ne l'impose.

  • L'émergence d'hypothèses cliniques

Comme l'ont expliqué ces deux experts, leur travail repose avant tout sur des hypothèses cliniques.

D'après l'article 122-1 du Nouveau Code pénal, une personne atteinte - au moment des faits qui lui sont reprochés - d'un trouble psychique ayant aboli son discernement est déclarée pénalement irresponsable: elle ne peut être jugée.

Pour le psychiatre expert, la frontière entre le normal et le pathologique doit être définie. L'expert doit alors procéder à un examen psychiatrique, vérifier si le sujet présente des anomalies mentales ou psychiatriques, démontrer si ces anomalies sont en relation avec les actes commis, faire des observations utiles à l'émergence de la vérité, évaluer la nécessité pour le sujet de se soigner. Enfin l'expert doit réaliser un diagnostic d'anticipation: l'individu est il curable et ré adaptable ? L'expert doit se prononcer sur les risques de récidive par rapport à la pathologie.

Pour le psychologue, l'expertise comporte un examen clinique qui portera sur l'histoire du sujet, son environnement, le contexte social et culturel, l'organisation de sa personnalité; et la passation de tests de personnalité. C'est sur cette deuxième partie que se portera la différence entre l'expertise du psychologue et celle du psychiatre.

Tous deux ont souligné l'importance de l'accès à certaines pièces du dossier d'instruction, les premières auditions étant primordiales dans l'appréhension du sujet.

  • "Déloger l'expert d'une illusoire position de devin"

Déjà en 1955, Georges SIMENON s'inquiétait du rôle grandissant des psychiatres dans les procès d'assises. Dans "Maigret tend un piège", le professeur Tissot, psychiatre à Sainte-Anne, expert auprès des tribunaux, est conscient de la dérive.

"J'ai l'impression que ce ne sont plus les magistrats et les jurés qui décident du sort d'un criminel, mais nous, les psychiatres, dit-il."

De la même façon, ces deux experts ont dénoncé au travers de leur intervention les expertises ayant pour objet de pronostiquer ce que les Positivistes italiens appelaient la périculosité, et que l'on dénomme désormais dangerosité.

Comme cela a été le cas à Outreau, le pouvoir de l'expert est surestimé. Ainsi les hypothèses cliniques de l'expert psychologue ou psychiatre doivent être prises pour ce qu'elles sont : une tentative de cerner une vérité psychologique, en aucun cas le moyen d'établir, en lieu et place du juge, une vérité judiciaire.

Il faut, affirme le docteur ZAGURY, "déloger l'expert d'une illusoire position de devin proférant des avis péremptoires, pour lui confier celle du clinicien qui, puisant dans son expérience de thérapeute, est susceptible de donner à la justice des avis compétents et prudents pour la guider dans ses décisions."

  • Une justice non thérapeutique

Le Docteur Daniel ZAGURY et Madame Geneviève CEDILE ont relevé une certaine confusion entre espace judiciaire et espace thérapeutique. Dire que le procès permettra aux victimes de faire leur deuil est une ineptie. Aucune victime ne réagit de la même façon. Le deuil obéit à un processus intime et singulier.

Selon le Docteur Daniel ZAGURY : "Le rituel judiciaire est un temps fort de la vie sociale, et il est légitime que les victimes y soient associées, mais ce n'est pas un acte thérapeutique."

 

Crédit photo D FRASSATI

Toute l'assistance a vivement apprécié la prestation de ces deux experts. Cette action a permis aux experts médicaux de mieux appréhender les attentes de la justice et aux représentants du monde judiciaire de mieux comprendre la rigueur des instruments et des références auxquelles l'expert fait appel.

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